Kurak Günler était le seul film turc sélectionné dans le cadre de la compétition officielle du Festival de Cannes 2022, catégorie “Un Certain Regard“.
Nous sommes à Yaniklar une petite ville d’Anatolie centrale et rurale.
Sur la carte, vous avez beau chercher, la ville d’Yaniklar n’existe pas en Turquie.
À bien des égards, elle pourrait se trouver n’importe où dans le monde, enfin presque !
La situation est difficile dans la région, problème de sécheresse récurrent et Yaniklar n’est pas seule dans ce cas, changement climatique aidant …
Emin Alper n’en est pas à son coup d’essai, Kurak Günler est son quatrième long métrage, lui même a écrit une thèse en histoire contemporaine et s’est tourné vers la réalisation dès les années 2000, il a gardé le goût du contexte historique, le sujet de Kurak Günler en est l’illustration parfaite, il a le sens du détail poussé à l’extrême, le détail qui dérange, celui qui fait parfois dérailler une société bien rodée.
Le personnage central de son film est incarné par Selahattin Paşalı, acteur jeune et déjà confirmé …
Il a commencé par être joueur de basket, puis capitaine de son équipe avant de se tourner vers d’autres rôles, au cinéma précisément.
Connu en Turquie pour avoir joué dans des séries à succès, nous le retrouvons ici dans le rôle d’un jeune procureur fraichement diplômé et muté dans cette délicieuse petite ville dormante de Yaniklar.
Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, les habitants s’échangent des invitations de bienvenue, se saluent, se remercient, se revoient, à bientôt …
Les apparences sont parfois trompeuses !
Le jeune procureur, idéaliste, est à l’aise dans ce
monde à sa mesure jusqu’au jour où rattrapé par sa naïveté,
la situation se délite, par petites touches d’abord, puis s’accélère
progressivement jusqu’au bouquet final, à ne pas manquer, cela va de soi.
Emin Alper évite habilement les obstacles, il aurait pu faire un film politique et prendre ainsi des positions peu propices à la distribution de son film en Turquie, il n’en est rien …
iI nous propose une analyse d’un système à bout de souffle, tous partis politiques confondus, et le fait avec panache.
Il montre du doigt le fossé qui sépare la Turquie urbaine de la Turquie rurale, des différences irréconciliables, tant les antagonismes sont ancrés.
Emin Alper reste prudent, les partis politiques ne sont pas nommés, seule la consommation de raki donnera des indices d’appartenance politique.
Il procède à une critique virulente de la corruption présente après des années de pouvoir exercé par les mêmes personnes et les mêmes clans.
Il critique aussi les moyens de s’accrocher au pouvoir, à savoir une pratique systémique du populisme consistant à dire aux habitants ce qu’ils ont envie d’entendre, un procédé efficace et pratique, car pendant ce temps là les petites affaires et les sales besognes continuent, bien cachées !
Notre sympathique procureur ne se rend compte que trop tard des manipulations qui se trament dans son dos … Représentant de la justice, il se voit peu à peu transformé en victime expiatoire d’un système où le seul fait de se croire innocent suffit à vous rendre coupable, si vous ne jouez pas le jeu.
Rapidement, la rumeur fait grand bruit, elle s’empare de la ville puis s’emballe, devient virale et la situation échappe à tout contrôle.
Personne ne fait plus la différence entre rumeur et information … Qu’importe la différence qui consiste à connaitre l’origine d’une information et pas celle d’une rumeur, il est tellement facile de nos jours de faire passer l’une pour l’autre, manipulation et émotion aidant.
Il ne reste plus dès lors que des survivants, et des morts vivants errant sans autre but que d’éliminer ceux qui pensent différemment et qui cherchent à s’abriter de la vindicte populaire.
Bienvenue à Yaniklar *, la ville de tous les dangers.
Elle n’a pas été choisi au hasard, ce film frappe juste !
Marc Lanteri
9/6/2022
* Yaniklar, veut dire “brûlures“ en turc tandis que Yani klar signifie “tellement clair“ …
Sortie du film en France : 17 août 2022