The Apprentice de Ali Abbassi et
Limonov, la ballade de Kirill Serebrennikov
Se voir proposer un Biopic lors d’un Festival n’est pas chose fréquente.
Pour son édition 2024, le Festival de Cannes nous en propose deux d’un coup, et en sélection officielle !
Les deux films s’apparentent plutôt à des séquences de vie de deux personnages qui ne laisseront personne indifférents, surtout aujourd’hui, l’un se nomme Donald Trump et l’autre Edouard Limonov.
L’un est américain et l’autre russe, leurs trajectoires ne se croisent pas mais évoluent à travers des contextes proches, chacun bénéficiant ainsi d’une sorte d’appellation contrôlée et partagée.
Dans The Apprentice, Donald Trump est le fils d’un magnat de l’immobilier oeuvrant à New York, ville en pleine décadence à la fin des années 1970.
Jeune, il veut s’affranchir de son père et réussir dans le même domaine, la pierre.
Il achète, vend et revend et surtout cherche à s’entourer, et là miracle, il fait la connaissance de Roy Cohn, célèbre avocat new yorkais, mouillé dans la défense du MacCarthysme jusqu’au cou, il vit dans le succès …
M. Trump apprend beaucoup de lui et l’adopte comme père de substitution en intégrant ses valeurs au point de s’accaparer sa pensée : attitude somme toute classique de la copie voulant prendre la place de l’original, à savoir,
“se battre toujours, affirmer dire la vérité face à des gens qualifiés de menteur et toujours clamer que l’on a gagné même si les autres disent le contraire, et surtout si l’on a perdu“.
Il suit les traces de son mentor : le film décrit une tranche de vie de M. Trump, ou comment s’élever en s’appuyant sur une ville et une société en crise, tout en se servant des personnes utiles à sa carrière.
Dans le film Limonov, la ballade, Kirill Serebrennikov nous montre la vie d’un personnage issu d’une société post-soviétique en pleine déroute.
Après avoir commencé dans la rue, voyou et aventurier, Edouard Limonov enchaîne sur quelques coups scabreux avec des amis, puis fréquente la bohème littéraire à Kharkov, écrit, évite la prison, puis part se faire oublier aux USA, à New York où il travaille comme majordome …
Vous pensez qu’il en restera là ? Non ! Il continue, part vivre en France, retourne en Russie, fait de la prison, fonde un parti National-Bolchévique et s’installe en Serbie …
À vous donner le tournis ! Quand on lui pose des questions sur sa vie, il répond,
“tout ce que j’ai rêvé, je l’ai fait“.
Sans oublier ses talents d’écrivain, plus d’une quarantaine d’ouvrages publiés à ce jour, aux titres évocateurs, “Le poète russe préfère les grands nègres“, “Journal d’un raté“, “Autoportrait d’un bandit dans son adolescence“, “Journal dissonant“, “Le petit salaud“ …Tout un programme !
En résumé, M. Trump encaisse des loyers, construit et vend des immeubles, pendant que M. Limonov écrit des livres sur sa propre vie. Chacun sa voie !
D’ici à dire que chacun est le produit de son temps, il n’y a qu’un pas à franchir.
Dans les deux cas, ils illustrent les contradictions de l’époque qu’ils traversent …
En tournant la page, ils pensent qu’ils effacent leur passé.
Ils sont les acteurs de leur propre vie, ambitieux et opportunistes par destinée, ils s’identifient si bien à leur personnage actuel qu’ils en oublient le précédent … sans même penser au suivant.
Dès lors, ce n’est plus la confiance en eux qui les fait tenir et avancer, mais celle renvoyée par leur propre image personnifiée.
Le choix d’un biopic en tant que modèle de narration permet de focaliser sur l’action : le rythme du scénario et le jeu des acteurs deviennent alors des atouts majeurs concernant Limonov, la ballade, car connaitre la fin d’une histoire enlève tout suspense, Limonov étant décédé en 2020, mais par contre rend toute son importance au montage et au traitement du film.
Le cas de The Apprentice est différent, Donald Trump est toujours vivant et candidat affichée à la prochaine présidentielle américaine … Là se situe le problème pour le film car The Apprentice est supposé sortir en pleine période électorale aux États-Unis, ce qui ne réjouit pas Trump, son équipe de campagne et ses soutiens, bien décidés à repousser sa sortie après les élections dans leur propre pays
Sans oublier les origines des protagonistes et des réalisateurs des deux films, source de différences et de fantasmes complotistes.
Kirill Serebrennikov réalisateur de Limonov, la ballade est d’origine russo-ukrainienne, et Edouard Limonov est russe.
Ali Abbasi réalisateur de The Apprentice est né à Téhéran et possède la double nationalité danoise / iranienne tandis que M.Trump est américain.
Donald Trump et Edouard Limonov, deux personnages symboliques, l’un a fait une vie et l’autre carrière, je vous laisse deviner lequel !
Limonov est décédé en 2020, M. Trump est candidat à une prochaine élection présidentielle : l’un est mort et l’autre toujours vivant.
Dans mes petits arrangements avec la vie, j’ai tendance à penser que les gens ne sont morts que lorsqu’ils disparaissent de ma mémoire …
L’un est mort et l’autre toujours vivant ! … à moins que ce ne soit l’inverse.
Marc Lanteri – 15 juillet 2024
Date de sortie de Limonov, la ballade en France : 18 septembre 2024
Date de sortie de The Apprentice en France : En attente