À plus d’un titre les femmes et les enfants ont tenu les premiers rôles tout au long de ce Festival … Rien à voir avec une question de préséance ou de politesse. Il est question ici de rôles incarnés à l’écran, pour le pire et et le meilleur, ou le malheur.
Dans certains films la couleur est annoncée avec le titre, tel Leila’s Brothers de Saeed Roustaee.
Leila est le personnage central, de cette famille qui vit tant bien que mal et essaie de s’en sortir avec les moyens du bord. Le détail des personnages nous donne une étendue de ce qui attend chacun et Leila en particulier … 4 frères, une soeur et deux parents, ainsi aurait pu s’appeler le film !
Sur les 4 frères, le premier travaille à l’usine, le second à filouter des plans voués à l’échec, quant au deux autres, l’un passe son temps à faire du culturisme et accessoirement à gagner sa vie en nettoyant des toilettes publiques en pensant les racheter avec son autre frère pour en faire un magasin de mode et mettre toute la famille sur le coup. Un projet d’avenir !
Et les parents dans tout cela, vous ne le croirez pas ! la mère des cinq enfants passe son temps à regarder des matchs de catch à la télévision. Quant au père, à la retraite, il rêve de revanche sociale et devenir le parrain de sa communauté en achetant sa position grâce à des pièces d’or bien cachées.
Le décor est planté, la famille au bord du précipice … Mais Leila est là ! elle essaie de conjurer le destin, elle échafaude un plan pour le bien être de tous, comme elle sait le faire, elle conduit la barque… La mer est houleuse, rien ne va plus, les sanctions internationales tombent sur l’Iran, l’économie s’emmêle et s’effondre.
Sauve qui peut ! mais tout va bien, Leila est là en mater dolorosa incarnée.
Chez Roustaee, on coule avec élégance.
Changement de décor avec R.M.N de Cristian Mungiu.
L’action se passe dans un village de Roumanie, victime des migrations … Les roumains sont partis gagner plus en Europe de l’Ouest, d’autres les ont remplacés venant du Sri Lanka, tout baigne dans la xénophobie la plus complète et les hommes passent leur temps à critiquer et se battre. Ambiance sportive, sans règles de combat.
Csilla travaille à la seule usine de pain industriel du pays et voit sans joie ce théâtre d’autodestruction masculine où les hommes ont le verbe haut et l’action basse. Elle tente d’éviter le pire et son courage n’a d’égal que sa solitude. Elle continue sur sa dynamique et ne baisse jamais les bras.
Elles ne sont pas seules, Leila et Csilla … nombreux sont les personnages féminins à pouvoir prétendre à la palme de la résilience, si elle avait existé bien sur !
Certaines ont été récompensées, telle Zar Amir Ebrahimi, prix d’interprétation féminine … Journaliste, dans le film d’Ali Abbasi (Holy Spider), elle enquête sur une série de crimes contre des femmes.
Rien n’est simple, elle évolue dans un monde où la justice s’exerce au masculin, elle s’identifie totalement à son rôle d’investigation sans jamais se prendre les pieds dans les tapis, nous sommes en Iran, ils sont nombreux !
Avec As Bestas (Les Bêtes) de Rodrigo Sorogoyen, c’est plutôt “courage fuyons“ tellement les hommes, certains hommes, semblent incapables de sortir de leur mémoire et enlèvent la vie alors que les femmes la donnent, un film sur l’inadaptation au monde moderne tant au plan matériel que psychologique
Pour d’autres la résilience est absente, à moins que l’on considère la folie comme une forme de libération, discutable.
Certaines cherchent par tous les moyens à sortir de leur enfermement, en revanche pour d’autres il n’est de choix que de s’y enfoncer.
Alyona Mikhailova tient à merveille le personnage de la Femme de Tchaikovsky dans le film de Kirill Serebrennikov, car c’est bien plus de la femme que de Tchaikovsky dont il est question dans ce film.
Victime entre autres de son propre talent, Tchaikovsky a associé à ce désastre la seule femme qui l’aimait, à la folie certes, au point qu’elle a fini sa vie bien après lui, passant d’une prison mentale à l’autre, pour terminer en asile psychiatrique.
Les enfants ne sont pas en reste, mais la situation est différente … Ils ne jouent pas avec les mêmes cartes.
Avec Dalva, premier film d’Emmanuelle Nicot, nous sommes face à l’enfance confrontée à elle-même, à son propre déni.
Vivant seul avec son père, Dalva prend le rôle qu’il veut lui faire jouer. En clair, le père ne peut se soustraire à ses pulsions, et Dalva aux abus de ce père.
Le film décrit le passage de l’état d’aveuglement amoureux de Dalva à sa libération progressive par la séparation physique du père. Dans un premier temps Dalva se repliera sur son déni et prendra la défense du père, puis montrera une résilience salvatrice en se réappropriant son enfance avec ses doutes de croissance loin des certitudes et codes que les adultes veulent lui imposer.
D ‘autres films abordent la relation enfant-enfant au sens large en se penchant sur l’intériorisation du monde vu par les enfants et la formation de la persona.
Close, film de Lukas Dhont, nous rapporte l’histoire de deux amis entre enfance et adolescence, l’un est fils unique, l’autre a un frère, les deux une famille aimante … Tout se passe bien jusqu’au jour où la relation devient progressivement fusionnel en se limitant au stade de l’enfance idéalisée et engendre une frustration chez l’un des deux amis qui a touché du doigt l’ouverture de l’adolescence, de ses doutes et de ses promesses.
C’est le temps de la croissance et de l’évolution pour celui ci, mais aussi le temps du repli sur soi et sur cette relation sublimée pour l’autre … Cette approche du passage de l’enfance à l’adolescence ne se fera pas sans mal pour celui qui se sent laissé pour seul, la rupture sera violente, une rupture avec soi-même.
Le film nous montre la relation entre ces deux amis plus que la définition des personnages …
Chacun est vu à travers le regard de l’autre. Pari réussi et Grand Prix ex-aequo à la clé.
Avec Le Otto Montagne (Les 8 Montagnes), film de Charlotte Vandermeersch et Félix Van Groeningen, tiré du roman éponyme à succès de Paolo Cognetti, le sujet est proche, le traitement différent … Ici les échéances sont retardées, l’enfance s’évade à travers l’adolescence et le reste.
Une famille de Turin a pour habitude de passer ses vacances à Grana, village du Val dAoste collé au sud des Alpes, leur fils (unique) trouve un compagnon de jeu en la personne du fils (unique) d’un père absent et vivant (mal) avec son oncle… Une amitié précieuse nait entre le fils des villes et celui des champs, elle survivra à tout, au passé, à l’amour, à tout sauf à la vie.
Des deux amis, l’un s’ouvrira après avoir dépassé ses doutes et questionnements, l’autre s’enfermera dans le monde de ses certitudes avec ses limites qu’il ne pourra franchir par peur de se mettre en danger.
Chacun tentera de faciliter la route à l’autre et trouver sa part de vérité, sans compter.
Histoires de vies à travers ces films où le vécu de chacun l’empêche parfois d’aller au delà de ses limites et se dépasser une fois pour toute.
Pour certains, les limites ne sont pas visibles, tant ils sont habitués à vivre dans une forme d’aveuglement de la vie, au travers des sentiments de leur propre déni ou de la conscience idéalisée de leur zone de confort.
D’autres préféreront quitter ce lieu où ils sont, et partir vers un ailleurs inconnu, les familiers de la montagne savent que ce n’est pas le sommet le plus important, mais le cheminement pour y parvenir.
Marc Lanteri
21 juin 2022
Date de sortie …
Holy Spider de Ali Abbasi, 13 juillet 2022
As Bestas de Rodrigo Sorogoyen 20 juillet 2022
Leila’s Brothers de Saeed Roustaee, 24 août 2022
Close Lukas Dhont, 1er novembre
Le Otto Montagne (Les 8 Montagnes) de Charlotte Vandermeersch et Félix Van Groeningen 21 décembre 2022
La Femme de Tchaikovsky de Kirill Serebrennikov, 12/2022
Dalva d’Emmanuelle Nicot, 2022
R.M.N de Cristian Mungiu, 2022