Cannes 2022 n’aura pas failli à la tradition, un palmarès en forme de tiroir … en l’ouvrant on pourrait trouver tout ce que l’on veut, et même ce dont personne ne veut, diront les mauvaises langues.
Le haut niveau de la sélection, la difficulté à choisir, le tout accompagné d’une volonté de récompenser plus de monde.… Reste que le nombre de prix est limité et le jury en a profité pour créer celui du 75ème anniversaire, mais à défaut d’autres déclinaisons possibles, certains prix ont été attribués en double, tels les Prix du Jury et le Grand Prix.
Il est un fait que la sélection 2022 était fournie et particulièrement variée dans ses choix, démontrant que le cinéma dans sa représentation du monde reste un media privilégié, le reflet des contradictions et de la richesse de son environnement, tant social qu’individuel.
Nul doute que les films choisis au Palmarès cannois ont présenté un intérêt au yeux du Jury.
Si la Palme d’Or, Triangle of Sadness de Ruben Östlund, est une forme de dynamitage situationniste et le constat d’un système en fin de paradigme, certains autres prix ont été attribués en double … le fruit d’une hésitation dans la réflexion, l’abondance de la sélection ou la qualité du propos ?
Close de Lukas Dhont et Stars at noon de Claire Denis illustrent les deux facettes d’un même sujet, comment vivre avec, tout en étant sans.
Ces deux films ont été récompensées par le Grand Prix.
Close propose une approche du passage de l’enfance à l’adolescence à travers un drame, le tout enrobé dans une forme esthétique léchée et adoucissante qui donne au film un côté sucré-salé, une esthétique au service de la crise existentielle et qui gomme la profondeur des personnages.
Stars at noon se passe au Nicaragua et nous conte l’histoire de deux personnes en recherche et vivant dans un pays où la dictature a banni le doute : ils finissent par se trouver, ils sont jeunes, ils sont beaux et la vie leur sourit … tout cela est agréable à voir, sauf que si les personnages vivent leurs émotions, ils sont transparents sur le reste et seuls face à l’armée omniprésente et à la corruption galopante.
Cela rappelle fortement un autre film, autres époques et autres temps, L’Année de tous les dangers de Peter Weir, un film brulot dans lequel les personnages incarnés par Linda Hunt, Sigourney Weaver et Mel Gibson tentaient de vivre et de survivre face à la dictature grimpante, belle approche du social conjugué avec l’existentiel.
Le Prix du Jury est allé à deux films ex-aequo,
HI-Han de Jerzy Skolimowski et Les Huit montagnes de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeesch.
Hi-Han est une métaphore humaniste sur le présent et le devenir du monde.
Les Huit montagnes se parcourent à travers la vie de deux adolescents et leur découverte de leurs errements et attentes, le tout dans un monde où rien n’est prêt pour les satisfaire … Le dedans et le dehors, et ces huit montagnes ont un caractère magique tant elles s’adressent à chacun de nous.
Nombre des films honorés semble l’avoir été pour la qualité de la résilience présente chez les personnages. C’est particulièrement le cas pour par Amir Ebrahimi, actrice iranienne exilée en France de Holy Spider (film de Ali Abassi), dans le rôle d’une journaliste qui ne lâche rien et surtout pas sa propre vie en tant que personne.
Un prix certes mérité, mais qui nous amène à une question cruciale concernant des films non récompensés et qui proposent aux spectateurs un constat de l’état du monde, société par société … une tache bien plus ardue que des approches émotionnelles ou esthétisantes, sans exclusion aucune.
Deux films en particulier ont pris le risque de s’attaquer à des sujets difficiles, désagréables mais inévitables. Deux films non présents au palmarès, pour ne citer que ces deux là.
R.M.N de Cristian Mungiu dresse un constat impitoyable de la société roumaine, dont la population est désormais composée d’immigrés et de migrants, sans oublier la difficile cohabitation interne entre minorité hongroise et majorité roumaine, tout un programme et un problème soulevé propre à beaucoup d’autres pays.
Merci Mr Mungiu pour ce film scanner (R.M.N. en roumain).
Leila’s Brothers de Said Roustaee (auteur de La loi de Téhéran), nous donne une vision de la société iranienne à travers une famille, dans laquelle chacun reconnaitra les caractères … Un film qui passe de Tchekhov à Balzac avec la légèreté d’une plume.
Said Roustaee a l’étoffe des grands, il trace sa voie, avec réflexion et profondeur. Il a le mérite et le courage de poser les problèmes au lieu de nous montrer des sociétés à la recherche de solutions, têtes baissées dans le court terme, quitte à aller dans le mur.
D’autres films ont apporté leur force dans cette compétition, le film de Kelly Reichardt, par exemple, Showing Up, un film sur l’hésitation, la conviction, le doute, la réflexion du créateur. Il nous montre que parfois le doute fait autant avancer que la certitude.
Un palmarès peut s’assimiler aussi à cette image, remplie de valeurs différentes,
il est le rendez vous de la création et des juges, il nous offre un constat et à ce titre a le mérite d’exister.
Marc Lanteri – 6/6/2022
Palmarès Cannes 2022 (Compétition officielle)
Palme d’Or : Sans Filtre
Grand Prix : Close et Stars at noon
Prix du Jury : HI-Han et Les Huit Montagnes
Prix d’interprétation masculine : Song Kang Ho
Prix de la mise en scène : Park Chan-Wook
Prix d’interprétation féminine : Par Amir Ebrahimi
Prix du 75ème anniversaire : Tori et Lokita
Prix du Scénario : Boy from Heaven
Caméra d’0r : War Pony